Relais communautaires: les hommes agissent aux côtés des femmes et avec elles! – témoignage d’Alpha Soumah

Capture d’écran 2014-08-12 à 15.05.51Je m’appelle Alpha Soumah. Je suis d’origine guinéenne. Cela fait 3 ans que je suis en Belgique. Je suis dans le centre de Florennes. Je suis économiste de profession, mais je me suis beaucoup intéressé aux MGF depuis le pays.

 Emergence de l’implication dans la lutte contre les MGF

Les MGF… J’ai eu la chance d’aller à l’école, j’ai eu la chance de découvrir beaucoup de groupes et d’associations, surtout des associations qui oeuvraient dans la lutte contre les MGF. Lorsque je suis passé en 7ème année, on avait des cours sur la reproduction.

Déjà très jeune, j’avais un objectif : faire la médecine. Cela m’a poussé à lire des documents sur la reproduction. Petit à petit, je me suis lancé dans des documents scientifiques: ce qui concernait la biologie, la sexualité, un peu toutes ces questions.

La mutilation, on n’en parlait pas vraiment à l’école, pas pour sensibiliser les gens! J’étais informé de leur existence parce que je voyais les jeunes filles à chaque vacance et les garçons. Je m’intéressais surtout aux jeunes filles, parce que j’ai eu une sœur qui a été victime des mutilations. Et surtout, j’ai vu, j’ai compris qu’il y’avait une différence entre les hommes et les femmes. Les MGF n’étaient pas une bonne chose. Je ne vais jamais oublier les pleures de ma sœur Diariou qui est décédée lors d’un accouchement compliqué.

Petit à petit, je me suis lancé dans la lutte contre les MGF: je récoltais des informations, j’apprenais à connaître ce qu’était les MGF, à remonter l’historique. Jusqu’à ce que je me lance dans les groupes, dans les associations, en particulier une association qu’on appelle « 100% jeunes, 100% réglo » qui oeuvre dans la lutte contre les MGF et le SIDA.  C’est là où j’ai fait la plus grande découverte sur les MGF, c’est là où j’ai découvert la réalité : l’excision n’était pas demandée par le Coran. La pratique des mutilations n’appartient à aucune religion. Il s’agit d’une pratique culturelle, liée à une tradition et non recommandée par les religions.

Dans mon quartier, la seule association qui existait, était à base ethnique. Alors moi j’ai voulu qu’on soit une association de jeunes pour que toutes les ethnies se retrouvent, qu’on ne perde pas de temps. L’association s’appelle «  AJDIS- Association des Jeunes pour le Développement et l’Intégration Sociale ». On a travaillé sur les objectifs que se fixaient l’association, le contenu des documents pour obtenir un agrément. J’ai donné l’idée, l’initiative de parler des MGF, des Mutilations Génitales Féminines, parce que nous, on appelle directement « excision » les MGF. C’est un peu limité, mais on parlait directement de l’excision et de la lutte contre le SIDA, de la sensibilisation des personnes. L’association a existé mais comme on parlait de l’excision, on n’a pas pu obtenir notre agrément. L’association est restée : « tantôt elle est par-ci, tantôt elle est par là ». Mais c’était difficile pour nous d’obtenir l’agrément. Ca a été la base de beaucoup de problèmes dans l’évolution de notre association.

Mon implication dans l’association m’a beaucoup aidé, parce que j’ai su mobiliser pas ma de monde, toute la jeunesse presque. Et on a œuvré dans beaucoup de choses: dans le quartier, on a organisé des matchs de football, des tournois, etc.

Des aléas de la vie: arrivée en Belgique et découverte du GAMS

À mon arrivée en Belgique, je devais introduire une demande d’asile. Quand ça a été fait, j’ai voulu, petit à petit m’impliquer à nouveau dans la lutte. Dans le centre où j’étais à l’époque, j’entendais parler du GAMS, mais à chaque fois les A.S. disaient que le GAMS c’est fait pour les femmes. Oui, ça c’est sûr, … c’est ce qui se disait.

J’ai commencé une formation en aide-soignant. Il yavait une fille burkinabé avec qui je faisais la formation qui fréquentait le GAMS. Un jour, elle m’a parlé des activités du GAMS, notamment le théâtre. Le théâtre et le cinéma, ça m’intéresse beaucoup. Mais entre-temps, j’ai  dû quitter le centre. Je suis revenu à Bruxelles, où j’ai introduit une nouvelle demande d’asile. Puis je suis venu à Florennes. Avant que je n’aille à Florennes, j’ai rencontré un jeune, Moussa. Il faisait du théâtre. Il a vu que moi aussi j’étais intéressé, il m’a présenté au CIRE[1] et on a fait un projet de théâtre ensemble avec le CIRE. C’était mon premier projet de théâtre. Ils m’ont impliqué dans les séances de théâtre qui ont suivies. C’est comme ça que je suis entré en relation avec un membre du personnel du SCI – le Service Civil International – qui m’a mis en contact avec le SCI. J’y ai découvert aussi pas mal de choses. Puis je me suis lancé dans la lutte contre les MGF, surtout avec le centre de Florennes qui s’est impliqué beaucoup dans la sensibilisation, dans les activités, dans les informations des résidents. Ca m’a procuré une large ouverture, je suis ainsi parti à Philippeville avec le centre. C’était la première fois que je voyais Khadia et Fabienne[2]. J’ai senti un poids qui me soulevait: « Allez, il faut foncer, tu peux découvrir encore pas mal de choses! » C’est comme ça que c’est parti avec le GAMS. Grâce à Florence et son staff.

à limplication dans la formation des relais communautaires

J’ai participé au colloque d’Intact[3] l’année passée, le 14 novembre 2013. Ça aussi je le dois à Florence[4]: elle a oeuvré pour qu’on soit10416609_1414381772175563_8984117835608157216_n là. Elle a vu qu’on avait de la motivation et qu’on avait au moins quelques notions sur les MGF, qu’on était prêt à défendre et à lutter contre les Mutilations Génitales Féminines. Pour ma part, je suis très présent dans le centre: presque rien ne se passe sans que je ne sois présent. Ils savent donc que je suis motivé pour lutter contre les MGF. Partout où l’on parle de Mutilations Génitales et même de lutte, de sensibilisation, je suis présent et ce, bien que je sois un homme. C’est pour dire, surtout aux hommes, que Messieurs vous ne devez pas rester en retrait… c’est quelque chose qui nous concerne tous!

Alors, lorsqu’il a été question de relais communautaires… J’étais là tranquille, on m’a appelé, on m’a dit « bon, il y a le GAMS qui organise une formation pour des relais communautaires et on ne peut pas te laisser à côté parce que tu es beaucoup impliqué dans les activités de lutte contre les MGF. Es-tu intéressé? » Je dis: « bien sûr, je suis intéressé! C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup! ». Alors là, j’ai découvert…

C’est une formation que je veux vraiment encourager les gens qui ne connaissent pas d’essayer de voir, de chercher à connaître c’est quoi le GAMS, de quoi le GAMS est capable. Parce qu’avec les relais communautaires, j’ai d’abord découvert des personnes que je ne connaissais pas. L’espace était un espace convivial, la formation était géniale pour moi parce que j’ai acquis beaucoup de choses en communication, dans la sensibilisation. Honnêtement, j’ai découvert des choses qui me permettent aujourd’hui de pouvoir m’exprimer devant qui que ce soit sur les MGF et de pouvoir bien défendre les Mutilations Génitales Féminines. Les personnes, surtout celles qui luttent contre les MGF, alors les relais communautaires, beaucoup vont se poser la question de savoir: « qu’est-ce-que ça veut dire ou qui sont ces personnes ? »Mais pour moi, je ne me tracasse pas, je leur dirai que les relais communautaires sont les personnes qui relèvent du GAMS, qui sont formées par le GAMS et qui jouent un rôle de sensibilisation, d’information dans les différentes communautés et en partenariat avec le GAMS afin de pouvoir sensibiliser un maximum de personnes, surtout les primo-arrivants et ceux qui ne connaissent pas le sujet des MGF. Les Belges qui ne connaissent pas le sujet des MGF. Nous jouons un rôle d’élargissement, d’information par rapport aux mutilations génitales féminines pour que les gens soient beaucoup mieux informés et qu’ils prennent des précautions par rapport aux mutilations. Parce que ce n’est pas parce qu’on vient d’ailleurs qu’on ne peut pas subir les MGF même ici en Belgique. Donc même si notre équipe est une petite équipe, je sais que cette équipe peut allez loin.

Je suis très content d’être un homme impliqué dans la lutte des mutilations génitales. J’ai aussi été très satisfait du nombre de messieurs qui ont participé à la formation de relais communautaire. Je croyais que j’étais seul…, mais à ma sortie du centre, j’ai compris qu’il y avait beaucoup de personnes aussi qui étaient impliquées. Ca, ça m’a donné encore plus de courage parce que j’ai découvert beaucoup de messieurs, des jeunes. Plus je passais de temps avec eux, plus cela m’a prouvé que beaucoup sont impliqués dans la lutte contre les mutilations génitales féminines. Donc, pour moi encore, il est important d’aller de l’avant: ceux qui ne savent pas, les messieurs qui croient que ça ne les concerne pas, je vais leur dire que ça les concerne. Nous sommes les pères de famille, nous sommes les pères des jeunes filles et nous sommes les maris de ces dames. Quand elles souffrent, nous aussi forcément on va souffrir, surtout  si on les aime, …

Travail à faire pour impliquer les hommes du centre

Capture d’écran 2014-08-12 à 15.13.24Avec les hommes, c’est vrai que c’est difficile, ici dans le centre, parce que les gens, souvent, ils ont en tête la procédure. Mais moi je ne suis pas un sapeur-pompier ou quelqu’un qui vient mettre une couverture pour les empêcher de voir leur procédure. Mais j’essaie de leur faire comprendre que oui la procédure, elle existe, c’est ça qui fait qu’on est là. Mais quand on attend la procédure, on risque d’attendre tout. Mieux vaut bouger pour autre chose et que la procédure suit. C’est ce que je leur dit souvent: « bougez, impliquez-vous, essayons de faire quelque-chose! »

J’étais très content de voir un monsieur angolais qui était impliqué lorsqu’on confectionnait les affiches[5]. Il est Angolais, c’est un sujet qui ne le concerne pas, c’es quelque chose qui n’est pas fait en Angola. Mais vu que j’ai essayé de lui parler, il a compris, il est venu vers nous et il s’est impliqué, ça m’a fait beaucoup plaisir.

Donc, les hommes c’est vrai que c’est difficile, mais moi j’essaie à chaque fois, s’il y a des activités du GAMS, dans le centre ou ailleurs, je pousse pas mal de personnes, surtout les hommes, 5,4,3, qu’ils viennent avec nous. Petit à petit, ils vont découvrir. Et tôt ou tard, je crois, qu’ils vont vraiment avoir une prise de conscience. Parce que nous les Guinéens, nous sommes tous des victimes des MGF quelle que soit la personne, c’est soit on a une personne qui est touchée, ou c’est obligatoire, si un homme doit se marier, il va rencontrer une femme qui est excisée. Si un homme fait un enfant, son enfant risque d’être excisé, si c’est une fille. Donc on est tous concernés, c’est pourquoi j’essaie de les mobiliser, de les informer, d’attirer leur attention, de leur dire que oui ça nous concerne, ne laissez pas ça pour les femmes!

Des projets plein la tête…

J’ai beaucoup de choses en tête, j’ai beaucoup de travail. J’ai effectué beaucoup de choses. Bien avant, j’ai fait une chanson: il y a longtemps, j’ai écrit une chanson sur les mutilations génitales. Un jour, je sais que cette chanson sortira de l’ombre. Et depuis ma sortie de la formation pour les relais communautaires, je travaille sur un petit film. C’est un petit film qui me fait rêver aujourd’hui. Je fais mon petit travail petit à petit.

A part ce film, on a des projets de théâtre, ensemble avec le groupe du relais communautaire. Il y a beaucoup de choses. Mais moi, personnellement, c’est la chanson et ce projet de film sur lequel je suis en train de travailler, c’est ça surtout qui me prend beaucoup de temps.

Etre sur le terrain, c’est mon plus grand souhait aujourd’hui. Passer à l’action, toucher les personnes qui ne sont pas touchées, attirer l’attention de ceux qui ne savent pas que les mutilations génitales féminines existent et surtout sensibiliser nos communautés sur les mutilations génitales.



[1] Depuis près de 60 ans, le CIRÉ – Coordination et initiative pour réfugiés et étrangés – se penche sur la question des demandeurs d’asile, des réfugiés et des étrangers avec ou sans titre de séjour. Les migrations, l’accueil des demandeurs d’asile, la régularisation des sans-papiers, la politique d’enfermement et d’expulsion des étrangers ou encore l’intégration de ces personnes dans notre société sont au coeur de nos activités et de nos réflexions. (www.cire.be)

[2] Khadidiatou Diallo et Fabienne Richard sont respectivement, la fondatrice et prédisente du GAMS Belgique et la coordinatrice du GAMS Belgique.

[3] Le colloque d’INTACT portait sur « Les Mutilations Génitales féminines et l’asile au regard des développements récents en droit international: l’exemple de la Guinée. » Les actes du colloque sont téléchargeables via le lien suivant: ici

[4] Florence Dodignies est assistante sociale. Elle travaille au centre de Florennes où elle s’occupe du projet MGF. Voir son interview du mois de mars 2014: ici

[5] Le projet de création des affiches a été proposé, en avril 2014, aux résidentes et résidents du centre de Florennes. Trois affiches de sensibilisation ont été confectionnées durant cette session.