Montrer une image alternative des femmes arabes – Entretien avec AWSA-Belgium

AWSA-Be – Arab Women’s Solidarity Association Belgium – l’association de solidarité avec les femmes du monde arabe. L’asbl, fondée en 2006, regroupe des femmes et des hommes d’origine arabe, belge ou d’ailleurs. Les SC-MGF ont rencontré les deux salariées d’AWSA-Be, Alicia Arbid, coordinatrice, et Mariem Sarsari, chargée de projets.

Les salariées d'AWSA-BePouvez-vous nous présenter AWSA-Be ? Quelles sont vos principales activités ?

« AWSA-Be est une association qui va bientôt avoir 10 ans. Elle a été créée par des bénévoles avec la volonté de montrer une image alternative des femmes du monde arabe, à travers un cadre convivial. Les femmes arabes ne sont pas des victimes, elles ne sont pas enfermées chez elles, elles sont aussi actrices, elles ont des choses à dire. L’idée de départ était de proposer quelque chose d’autre que ce que des associations proposaient déjà par rapport au public du monde arabe. Depuis le début on a mis en avant le côté féministe, laïque et mixte de l’association. Au début ça a commencé avec des activités culturelles, telles que la chorale, la bibliothèque… On organisait des activités culturelles, des discussions autour des féministes du monde arabe, on mettait en avant les militantes et écrivaines arabes… Donc au début il y avait cette base socio-culturelle, qui existe toujours. On organise différentes activités, telles que ‘Les femmes au café’, où on va dans les cafés à Bruxelles, des cafés où il y a une majorité d’hommes. Le groupe est mixte mais il y a une majorité de femmes. »

Récemment AWSA-Be a produit une pièce de théâtre, un monologue, ‘Quand Fatima se fait appeler Sophie’ touchant aux questions du corps, de la sexualité, des femmes migrantes, à l’honneur… La pièce a été traduite en flamand et AWSA-Be espère pouvoir la diffuser en Flandre bientôt. Elle organise également des ciné-débats autour d’œuvres de réalisatrices arabes, des discussions et ateliers sur différents thèmes qui touchent aux droits des femmes, aux sexualités, les cultures du monde arabe…

IMG_0044 (2)Vous avez pleins d’activités ! Quel est votre public principal ?
« Notre public est constitué principalement de personnes originaires du monde arabe, que ce soit première ou deuxième ou troisième génération. Le public change en fonction des activités. Certaines personnes, qui maîtrisent déjà bien la langue française, vont venir participer à un cercle littéraire par exemple. D’autres personnes ont un plus grand besoin de ressources, elles ne comprennent peut-être pas très bien le français. On a aussi comme public toute autre personne intéressée par la culture du monde arabe, le ‘public belge’ entre guillemets qu’on veut sensibiliser afin de créer une meilleure connaissance du monde arabe, et lutter contre le racisme.»

La base d’AWSA-Be a toujours été les militantEs bénévoles mais aujourd’hui l’association a également deux salariées. Les activités se sont diversifiées et de plus en plus de travail est mené au niveau des actions de plaidoyer et d’éducation permanente. A travers des partenariats avec d’autres associations de terrain, telles que celles qui proposent des cours de FLE (français langue étrangère) ou d’ALPHA (alphabétisation en français), AWSA-Be entre en contact avec tout le public originaire du monde arabe. Les activités de l’asbl se concentrent surtout au niveau de Bruxelles mais des activités sont également organisées en Wallonie, en Flandre voire dans les pays du monde arabe.
« On nous a déjà demandé quand-est ce qu’on allait monter une antenne AWSA Belgique dans d’autres villes… Ca nous touche, mais pour l’instant on ne peut pas, on n’a que deux salariées. Par contre, notre participation à des réseaux, tels que ESPER, European Network of Migrant Women (le réseau européen des femmes migrantes), la Fondation Anna Lindh ou encore le Réseau Mariage et Migration, nous permet de sortir du cadre bruxellois et de rencontrer d’autres associations en Europe et dans le monde arabe. »

AWSA-Be produit aussi des outils, notamment suite à des groupes de discussion. Récemment elle a travaillé sur un projet de récit de vie pour personnes séropositives. Elle propose des cours d’arabe pour adultes, basés sur des écrits des penseurs progressistes du monde arabe. Suite à une demande de parents, AWSA-Be propose des cours d’arabe pour les enfants, en dehors d’un cadre religieux.

Quelles sont les thématiques prioritaires pour AWSA-Be ?
« Je pense que finalement, la première thématique qui revient souvent dans nos actions, est celle des violences envers les femmes. Nos actions dénoncent souvent ces violences. Plus généralement AWSA travaille sur les droits des femmes, les droits sexuels et affectifs, les questions de genre, les stéréotypes… Les libertés, comme la liberté de choisir, la liberté de divorcer, la liberté d’expression…. Les droits des femmes, notamment au niveau de la loi en Belgique et dans les pays arabes.  En fait, il est parfois difficile pour nous de fixer des priorités, car nous sommes sur plusieurs fronts en même temps.»

AWSA-Be est une association mixte, la mixité est-elle importante pour vous, avez-vous aussi des activités en non-mixité ?
« Oui, l’association est mixte, avec un peu plus de femmes quand-même. On essaye d’ouvrir la porte aux hommes, d’ailleurs nos actions de plaidoyer et d’éducation permanente nous ont permis d’attirer plus d’hommes. Pour nous la mixité c’est important, c’est même un objectif. Ça nous arrive d’avoir des activités avec des associations non-mixtes, telles que des centres d’hébergement pour femmes. Récemment on a mené un projet ‘Mariage et migration’ où on a voulu voir comment traiter les sujets avec un groupe de femmes, un groupe d’hommes et un groupe mixte. On a constaté une différence dans la manière dont les personnes s’expriment, les sujets abordés vont être différents, ça touche à la sexualité, à l’intimité, aux questions de genre. Mais une autre variable importante, en dehors du genre, est de savoir si les personnes dans un groupe se connaissent ou non, cela joue beaucoup sur la façon dont les personnes se sentent à l’aise pour aborder certains sujets.»

Vous avez dit que vous proposiez quelque chose de différent par rapport à ce qui existait déjà pour le public issu du monde arabe. A votre avis, quelle est la spécificité de l’approche d’AWSA-Be?
« On a toujours une approche positive, on cherche à valoriser ce qui se passe dans le monde arabe, d’avoir un échange avec les personnes et les associations là-bas. AWSA considère que ce n’est pas forcément qu’à nous en tant qu’Européens et Européennes d’apporter des choses, il est aussi important de voir que les militantEs et associations dans le monde arabe peuvent nous apporter des choses, notamment en terme de travail communautaire. »
Dans cette optique de valoriser la culture et la littérature arabe, AWSA-Be organise régulièrement un cercle littéraire avec des auteurEs du monde arabe, notamment la littérature féministe du monde arabe. « On choisi un livre avec le groupe et on organise une rencontre tous les deux mois pour en discuter. Ca peut toucher à des sujets tels que la colonisation, les rapports de genre, la violence… Notre prochain cercle littéraire a lieu le 24 septembre…»

« On organise également des ateliers de lecture pour des personnes qui ont moins accès à la littérature. L’idée est de faire connaitre les penseurs progressistes. On se rend compte d’un côté que le public en Belgique connait mal les cultures du monde arabe, qu’il y a des clichés, et de l’autre côté que les populations issues du monde arabe, notamment de la 2ème ou 3ème génération, ne connaissent pas non plus leur culture d’origine, qu’il y a également des clichés véhiculés. L’idée est aussi de proposer une lecture d’œuvres qui sont difficiles à trouver en Belgique, tels que ceux traitant des questions de sexualité. On ramène des ouvrages en Belgique pour alimenter notre bibliothèque qui inclut des livres en français, en arabe et aussi en néerlandais. »

AWSA-Be se revendique aussi « laïque », qu’entendez-vous par cela ?
« Oui, on travaille beaucoup sur la laïcité. Des personnes racistes et islamophobes utilisent parfois la laïcité pour rejeter d’autres personnes, pour rejeter les musulmanEs, c’est une instrumentalisation de la laïcité. C’est pour ça qu’à AWSA-Be on sensibilise sur la définition de la laïcité, pour montrer en quoi c’est un outil, pour rappeler aussi son existence dans les pays du monde arabe, la laïcité n’est pas qu’une valeur occidentale… La laïcité c’est le Respect. C’est sortir d’un cadre religieux. Ça ne veut pas dire s’opposer à la religion. On utilise un terme qui est aussi instrumentalisé, certes, et on pourrait peut-être essayer de trouver un autre mot… Mais pour nous à AWSA-Be la laïcité peut être une arme pour contrer les racistes et islamophobes. Pour AWSA-Be le féminisme va de pair avec la laïcité, non pas dans le sens de nier les religions mais de permettre également de sortir du cadre religieux, de ramener le débat vers le bien-être ou la santé par exemple.»

« Parler de la laïcité, pour nous, c’est aussi montrer que le monde arabe n’est pas que religieux. Le monde arabe ce n’est pas que l’Islam. C’est pour cela qu’on sort de la religion dans toutes nos actions, en proposant des cours d’arabe ou des ateliers de lectures en dehors d’un cadre religieux, par exemple.»

IMG_0043 (3)Comment, dans vos actions, vous prenez en compte les priorités des femmes, et des féministes ici en Belgique, et celles dans les pays arabes ?
« Les féministes arabes nous disent « ne définissez pas nos priorités à notre place ». Il faut les inclure dans la lutte ! Dans certains pays, au Maroc par exemple, certaines féministes se disent féministes musulmanes. C’est leur réalité, et c’est peut-être plus difficile au Maroc de se dire féministe laïques qu’en Belgique. On n’est pas là pour se faire la guerre entre nous. Il faut prendre en compte tout le monde. C’est tout l’intérêt aussi de travailler en réseau. Travailler avec d’autres associations et groupes permet une approche intersectionnelle, et de sortir un peu des sujets sur lesquels on a l’habitude de travailler. Cela veut aussi dire déconstruire ses propres préjugés.»

« En fonction de la situation et du vécu des femmes migrantes, entre celles qui sont venues par regroupement familial ou qui sont demandeuses d’asile par exemple, elles n’ont pas non plus les mêmes priorités. Chaque situation est différente, alors qu’on regroupe tout sous le label ‘migration’. Il ne s’agit pas de fixer des priorités fixes, il s’agit d’inclure les personnes, de les mettre dans un rôle d’acteur, en tant que personnes qui apportent quelque chose à l’action, au débat. Parfois le monde académique ou les ONGs ne sont pas en lien avec les personnes concernées… »

« On suit de très près l’actualité et ce qui se passe dans les pays du monde arabe, tels que le droit des femmes libanaises à transmettre leur nationalité à leurs enfants ou encore le droit de vote des femmes saoudiennes aux élections municipales, prévu normalement en décembre 2015… On incite les personnes intéressées par nos actions à suivre notre page Facebook et notre newsletter…»

En terme de plaidoyer AWSA-Be lutte par exemple pour un changement de la loi concernant les femmes concernées par le regroupement familial victimes de violences conjugales. « On constate qu’il y a eu un durcissement au niveau légal en Belgique, en ce qui concerne le droit au regroupement familial. Aujourd’hui il faut respecter un délai de 5 ans de vie commune pour garder son droit au séjour. Les femmes victimes de violences conjugales ne peuvent pas quitter leurs conjoints car elles risquent de perdre leur droit au séjour… » C’est pourquoi AWSA-Be mène un travail d’information des femmes sur leurs droits, notamment à l’aide d’un dépliant.

Quid des Mutilations génitales féminines?
Les MGF concernent certains pays du monde arabe, en Egypte la prévalence de l’infibulation est très élevé, d’autres pays comme l’Iraq et le Yemen sont aussi concernées même si les prévalences sont moins importantes… AWSA-Be ne travaille pas spécifiquement sur les MGF mais intègre les questions concernant l’excision dans ses ateliers et outils, notamment dans son travail sur la Sexualité et la vie affective, ainsi que dans le volet Santé.
« On dénonce l’excision tout comme les autres violences de genre, et toutes les violences liées à l’honneur. Mais quand il faut aborder cette question plus spécifiquement on fait appel aux associations spécialisées ». Ainsi, dans le cadre d’une conférence sur ‘Sexualité sans tabou’ Fabienne Richard, directrice du GAMS Belgique asbl, a été invitée pour traiter des MGF.

« Il y a beaucoup d‘amalgames autour de l’excision. Notamment celle entre l’excision et la circoncision. C’est vraiment une façon de minimiser la gravité de l’excision. Ce sont des choses qu’on entend sur le terrain, y compris de la part des animatrices et animateurs de terrain. Il y a une énorme différence dans l’intention, pour la femme on veut lui priver de quelque chose, on veut contrôler sa sexualité. Les pratiques n’ont pas les mêmes conséquences sur la santé. On n’est pas là pour juger les personnes, mais il faut rappeler pourquoi on excise, il faut plus parler de l’honneur, l’excision est liées à l’honneur. On veut être sur que l’honneur de la famille soit préservé, cela passe par l’entre-jambe des femmes. Ce n’est pas le cas pour les hommes. On doit mettre le doigt là-dessus.
Il faut aussi apporter des arguments de Santé, montrer aux personnes pourquoi les MGF ont des conséquences néfastes sur la santé et le bien-être des femmes. C’est ce que fait le GAMS par exemple dans ses interventions. »

Est-ce que vos publics se sentent concernées par cette question ?
« Toutes les personnes ne sont pas concernées personnellement, mais cela ne les empêche pas de savoir que ça existe et de se sentir touchées par cela. Elles nous disent « au Maroc ça n’existe pas trop… mais j’ai déjà entendu ça en Egypte ». Même pour les personnes qui ne sont pas directement concernées, elles peuvent se sentir touchées et vouloir en parler. »

Plus d’information sur AWSA-Be :

Un commentaire à propos de “Montrer une image alternative des femmes arabes – Entretien avec AWSA-Belgium

  1. geradts

    Se sentir « concernée »… Le mot est faible… je me sens bouleversée, ravagée par les mutilations infligées aux femmes. les tortures que sont les excisions sont insupportables. Un militantisme déterminé doit enflammer toutes les femmes et tous les hommes aussi pour que le massacre des corps de fillettes cesse.

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