Les jeunes du GAMS… regard sur leurs actions – vision de Hemmeda

Capture d’écran 2014-03-03 à 20.58.01Je m’appelle Ali Brahim Hemmeda. J’ai 21 ans. Et je suis de Djibouti. Je suis à l’université, en première année, où je fais les langues.

Engagement dans la lutte

Pourquoi je suis engagée ? Je suis de Djibouti, l’un des pays où l’excision se pratique beaucoup.

Quand j’étais toute jeune, quand j’avais 17 ans – 16 ans, c’était rien du tout pour moi. Quand je dis que c’était rien du tout, je ne veux pas dire rien du tout, non : je ne comprenais pas ce qu’était l’excision. Pour moi, c’était un truc qu’on pratiquait. Que tout le monde pratiquait. Presque tout le monde.

Au fur et à mesure, j’ai vu des copines qui avaient des douleurs quand elles avaient leurs règles. Moi, je ne comprenais pas. Je pensais que les douleurs, ça venait comme ça. J’ai demandé à maman quelle était l’origine de ces douleurs. Parce que, avant, je n’avais pas de douleur lors de mes règles. Ce n’est que vers 16-17 ans que j’ai commencé à en avoir. Ma mère, elle disait que ce n’était rien du tout, que les douleurs viennent pour toutes les filles. Et j’ai dit « ok ». Et puis, j’ai demandé à ma grande sœur qui m’a expliqué que c’était dû à l’excision.

Même si je savais parler français, c’était la première que j’entendais ce mot « excision ». Parce que d’habitude, on dit « solota »… en afar. Lorsque ma sœur m’a dit ce mot, « excision », je lui ai demandé ce que c’était. Elle m’a expliqué que la traduction en afar était « solota ». Ce mot, je le comprenais. Mais je ne savais pas ce que cette pratique était à l’origine de mes douleurs dans le bas du ventre. Ma sœur me dit « mais tu sais, au fur et à mesure tu grandis, tu auras vraiment des douleurs catastrophiques. » Ahhh… à quoi m’attendre, je ne sais pas ?! Parce que, moi j’ai eu la chance, quand j’avais 17 ans, d’être en Belgique. Et dès que je suis partie voir la gynéco, elle m’a donné des petites pilules pour les douleurs.

La découverte du GAMS

Arrivée en Belgique en 2010, je ne savais pas que le GAMS existait. J’avais une copine d’origine djiboutienne qui avait fui le pays parce qu’on voulait l’exciser et la marier de force. Elle connaissait Zahra[1]. En 2011, Zahra lui a appris que, pour la première fois au GAMS, il y avait un grand nombre de jeunes. Et que par conséquent, le GAMS avait décidé de créer une activité, des projets pour les jeunes. Et depuis 2011, je suis fidèle à mon poste !

Au fur et à mesure, en venant au GAMS, je découvre plein de choses. Autour de moi, je vois beaucoup de monde qui a vraiment eu des problèmes dus à l’excision.

Au début, quand je suis arrivée en Belgique, quand on me dit « on désinfibule les gens, on ouvre la fille à l’hôpital. » Pour moi, c’était genre – vu que j’étais bourrée dans la tête. Quand je suis venue de Djibouti, j’étais vraiment bourrée – on me dit « oui, oui, la fille, si elle n’est pas excisée, c’est pas une femme. Et après, quand elle se marie, il faut l’infibuler »… Quand il y avait des filles qui venaient en Europe, on disait « on l’ouvre ». « Comment ça, on l’ouvre ?! T’es une pute ou quoi ?! » Moi, je disais ça ! Je ne te dis pas comment j’étais « pro excision ». Tellement j’étais bourrée ! On m’avait rempli le cerveau ! Du coup, lorsqu’on me parlait de désinfibuler, je disais « Ah non mais, t’es malade ou quoi toi ?! T’es une pute ! »

Pour moi, c’était ça : tout le monde était excisée. Je ne cherchais pas le sens de l’excision vu que je voyais que tout le monde autour de moi était excisée. Je ne savais même pas qu’il y avait une journée de lutte contre l’excision. Le 6 février ! Je ne savais pas ça. C’est en venant ici que j’ai tout appris.

C’est pour ça que je suis rentrée au GAMS, pour lutter contre l’excision. Parce qu’on m’a tellement bourrée quand j’étais toute petite, on m’a tellement bourré le cerveau et… c’était du baratin. C’était faux ! Tout était faux.

De la création du « Destin d’Aïcha »…

En 2011, c’était donc la première fois que le GAMS avait autant de « jeunes » et qu’il a été décidé de faire des activités pour eux.IMG_8776

On était un groupe de jeunes filles. Carolina, Annalisa et Zahra[2] nous ont demandé ce que nous voulions faire. Et du coup, le groupe s’est demandé pourquoi ne pas parler de notre pays ? Ce qu’il se passe dans notre pays. C’est vrai que l’Afrique, c’est la joie, la bonne humeur. Mais, pourquoi ne pas dénoncer, en faisant du théâtre, ce qu’ils font dans notre pays. Et c’est comme ça qu’est venue l’idée. Vu que presque toutes les filles qui étaient là, c’était le même sujet, la même chose pour laquelle elles sont venues en Belgique, on a dit Ok. Les trois coachs étaient partantes. Et Yalikhatou[3], elle chantait une musique qu’elle a créée à ce sujet. C’est comme ça que s’est lancée la troupe du GAMS.

Pour l’écriture ? On sait comment les parents réagissent, les oncles, ils réagissent. Du coup, chacune se mettait dans la peau d’une personne. Et… elle parlait, elle parlait. Carolina, Annalisa et Zahra écrivaient ses paroles. Puisque quand on parle, on ne sait pas, ça vient comme ça. Ce n’est pas des trucs qu’on écrit. Mais tout le monde se mettait dans la tête du père, de la mère, de la petite fille de 12 ans, de l’oncle… de tous les personnages de la pièce quoi. Et chaque fois qu’elle parlait, et bien, il y avait les 3 coachs qui étaient en train d’écrire, d’écrire, d’écrire, d’écrire. Peut-être pas des grandes phrases mais des mots que les Africains disent chaque fois : « Et woulà, toi ! Et  woulà hi ! » C’est comme ça qu’on a écrit : les 3 coachs, Zahra, Annalisa et Carolina, à côté de nous, et chaque fois qu’il y avait ces personnages qui parlaient, elles écrivaient.

Les personnages, on les a tous inventés. Personne ne nous a obligées à faire l’oncle, la mère ou machin. Chaque personne a pris un rôle où elle se sentait à l’aise, c’était tranquille. Moi, elles m’ont choisie comme Aïcha, parce que j’étais la plus courte, j’avais l’air de la plus petite, c’est vrai. Mais, j’aimais bien. Après, on a changé parce que… il y avait Fatoumata qui était super enfantine et qui du coup, par rapport à moi, paraissait plus enfantine. C’est pour ça qu’elle est devenue Fatoumata-Aïcha et moi, j’ai pris le rôle de la maman. Et cela me convenait car chez moi, j’ai également des responsabilités.

…à sa plus grosse représentation : le 6 février 2013

Oufff… comment j’ai ressenti ça ? Oh, au début, j’avais le trac ! Pour les 300 personnes… Quand Carolina et Zahra nous disaient « 300 personnes ! Il y a 300 personnes ! Je vous dis qu’il y a 300 personnes ! » « Ahhh Mama !!! Je vais oublier TOUT ! Je vais oublier toutes mes paroles ! Je vais même oublier mon rôle ! Ahhh Mama ! » Au début, quand je suis rentrée pour le premier rôle, pour la première scène, j’avais vraiment peur. Je ne regardais même pas le public ! On me disait de regarder le public mais je n’y arrivais pas.

En passant par les 300 personnes, je me suis dit – pas que moi, mais toutes, on se l’ait dit – « On peut y arriver ! On a joué devant 300 personnes ! » Pour les autres représentations, il y avait beaucoup moins de monde. Pour nous, ce n’était rien du tout, parce qu’on a passé le plus grrooosss stress. Et après, pour moi, c’était rien du tout !

Moi, en tout cas, j’ai dépassé le plus gros : le stress. Je monte sur scène, je ne suis pas stressée. Parce que c’est ça que j’avais au début. Au début, je stressais à fond ! Parce que, à Djibouti, je ne suis jamais montée sur scène ! Pourquoi ?! Parce que, dans la classe, on était 53 élèves – imagine ! – quand il y en avait une qui parlait, les autres pétaient de rire. Ben, ça te démoralise, franchement ! Pour moi, c’était NON, NON, je ne monterai jamais sur scène ! Quand je suis venue la première fois au GAMS, je stressais à fond. Mais au fur et à mesure, après, j’ai vu que… personne ne calculait personne. Même si quand tu parles, tu dis n’importe quoi, et bien, elles vont toujours te soutenir.

Vidéos :

Le Flashmob

DSC06951L’idée de flashmob, ce n’est pas venu de nous. On nous l’a proposé. On nous a demandé si on voulait bien faire un flashmob, danser et tout devant tout le monde. Et… on n’a pas refusée. Vu que pour nous, la plus grande étape était passée. On n’avait pas la grosse boule dans le ventre et le trac et tout ça. Donc, on a accepté, puisque pour nous, c’était super chouette. On aime bien danser. On est une équipe. Quand je dis qu’on est une équipe, on est une troupe super solidaire. Et on a accepté, on s’est lancée pour le flashmob.

Quand on a dansé le flashmob devant les gens, c’était rien du tout ! On a dansé. C’est comme si on était dans une boîte on dansait : « Eh, eh ! » Pour nous, les gens, ce n’était rien du tout [par rapport au trac]. C’est vrai qu’il y avait des nouvelles, comme les 3 sœurs. Mais Samira [la plus jeune des 3 soeurs]… Samira, elle n’avait même pas le trac.

A la gare centrale, on n’a pas foutu le bordel mais il y avait une qui commençait par là, l’autre qui commençait par là, une qui commençait par là… Et elles étaient en train de se stresser en fait. C’était la première fois. Mais à Anvers, on a cartonné ! Oh !!! A Anvers, c’était super chouette ! Il y avait beaucoup de monde. Et ça nous encourageait en même temps. On ne pensait même pas qu’on était seule ! Donc, on dansait, on dansait !

Vidéos du flashmob à:

Prochaines étapes ?

En mars, on va participer au Festival Babel, on va ouvrir le festival. Mais on ne s’est pas encore décidée.imgres On va créer une chorégraphie. Peut-être qu’on va danser et chanter. Parce que Yalikhatou, peut-être que, à la fin, elle va chanter une nouvelle musique, et que nous, on va créer une danse.

Peut-être qu’on va faire « Le Destin II », au départ, on avait écrit le « Destin d’Aïcha », peut-être qu’on va écrire la suite « Aïcha en Europe », on ne sait pas encore : la petite Aïcha sur Facebook, qui travaille au GAMS et qui lutte contre l’excision, qui sait ?! On ne sait pas… On verra.


[1] Zahra Ali Cheick s’occupe de l’accueil des femmes et des filles au GAMS Belgique ainsi que de diverses activités, dont celle avec les jeunes.

[2] Carolina Neira-Vianello, Annalisa D’Aguanno et Zahra Ali Cheick s’occupent du groupe des jeunes au sein du GAMS. 

[3] Yalikhatou est une des membres du groupe des jeunes.