Mon combat, de Djibouti en Belgique – entretien avec Samia Youssouf

Nous avons rencontré Samia Youssouf, animatrice communautaire à l’Antenne Liège du GAMS. Elle combat l’excision depuis de nombreuses années, en Belgique et à Djibouti.

IMG_0107 Qu’est-ce qui t’a amené à combattre l’excision ?
« Je viens du Djibouti, un pays où toutes les femmes sont excisées. La prévalence de l’excision est de plus de 90%. On excise les petites filles en bas âge.
Moi ce qui m’a amené à combattre réellement ce fléau c’est le fait d’être allée en Tunisie où j’étais partie vivre une année à l’âge de 20 ans. J’ai alors rencontré des amies tunisiennes et je leur ai demandé si elles étaient excisées comme je pensais que c’était le cas pour toutes les femmes musulmanes. Elles m’ont dit qu’elles ne connaissaient pas l’excision. Ça m’a beaucoup étonné et j’ai été très fâchée d’apprendre qu’en Tunisie ça ne se faisait pas alors que c’est un pays musulman, parce qu’à Djibouti on le fait au nom de la religion. Depuis lors à mon retour j’ai essayé de me documenter, d’apprendre pourquoi on le faisait, quels pays le faisaient… »

C’est donc quand tu es allée dans un pays qui ne pratiquait pas l’excision que tu t’es rendue compte de ça, est-ce que tu en avais déjà parlé à Djibouti ?
« A Djibouti on n’en parle pas, l’excision est un sujet tabou. Je suis née en 1972 et j’ai été excisée à l’âge de 5 ans. Mais j’ai appris que quand j’étais petite mon papa (paix à son âme) avait clairement dit à ma mère de ne pas faire exciser leurs filles. Malheureusement la position de mon père n’a pas protégé mes sœurs et moi, dès que mon père est parti en mission ma mère nous a fait exciser. 

Malheureusement il est décédé avant que je puisse lui en parler. Ma mère m’a raconté que mon père était contre plus tard, quand j’ai commencé à poser des questions. Pour elle ce n’était pas un sujet qu’il fallait aborder. C’était quelque chose de ‘normal’, elle me disait « on est comme ça, c’est comme ça’. Elle m’a dit que quand mon père a su qu’on avait été excisées il était vraiment furieux. Ma mère avait le soutien de ses sœurs, de toute la famille. Lui, face à la famille il ne pouvait pas faire grand-chose. A cette époque, dans les années 1970-80, les gens n’en parlaient pas, alors que mon père il était contre. J’ai l’impression que je reprends son flambeau… »

Un travail en Belgique…
Arrivée en Belgique en 1999 Samia rencontre Khadidiatou Diallo, présidente du GAMS. A Liège, où elle vivait, il n’y avait pas de structures spécialisées sur les MGF (mutilations génitales féminines). Avec un groupe de militant-e-s Samia a participé, en 2007, à la mise en place Collectif liégeois contre les mutilations.

« J’étais fort touchée par la problématique de l’excision, en tant que femme, femme mutilée, j’ai pensé que c’était mon devoir de protéger les petites filles. C’est pourquoi j’en ai fait mon combat et mon métier, d’abord en tant que bénévole de 2007 à 2011.» 

De 2011-2015 Samia eu un contrat pour travailler sur l’excision au Centre de Planning Louise Michel. Depuis janvier 2015 elle travaille au GAMS Belgique qui a ouvert une antenne à Liège, où il y a beaucoup de demandeurs d’asile. Elle est responsable des activités de la Province de Liège.
« J’ai changé d’employeur mais le travail reste le même. Soit on va aller vers les femmes qui ont subi l’excision, en cours d’Alpha, à l’ONE, dans les écoles de formation… Soit elles viennent vers nous. Je rencontre les familles concernées, les mères et les pères, on fait un suivi individuel, on travaille avec différents partenaires comme les Centres de planning familial… Les femmes viennent me voir et si nécessaire je les dirige vers d’autres structures pour un suivi médical ou juridique. On a aussi des activités de groupes de femmes. Je tiens une permanence à l’ONE et je fais des interventions aux centres de demandeurs d’asile. La plupart des personnes que nous rencontrons sont demandeurs d’asile originaires de pays d’Afrique : la Guinée-Conakry, Côté d’Ivoire, Libéria, Niger, Somali, Djibouti, Soudan, Ethiopie, Erythrée….
On fait aussi des formations pour les professionnel-le-s, futures sages-femmes, infirmières, AS… »

…et à Djibouti
Samia mène également des missions de terrain, à Djibouti. Elle est partie plusieurs fois avec l’ONG Respect for Change pour faire des sensibilisations sur l’excision. En 2012 elle a participé à une campagne à Djibouti où des personnalités importantes condamnaient l’excision.

« On faisait des animations dans les camps de réfugiés au sud de Djibouti (Ali Addey), on allait dans le Nord…L’arme de Respect for Change c’est surtout les médias, ils ne font pas de sensibilisation auprès de 20 personnes mais ils utilisent la radio et la télé pour toucher un grand nombre de personnes. Ils travaillent avec des films documentaires. Ils vont dans plusieurs pays, tels que le Burkina, le Sénégal… En plus de Respect, la CNDH [Commission nationale Droit de l’Homme] m’a également apporté un soutien précieux pour ces missions à Djibouti. 
 
L’excision est quelque chose qui marque à vie, un souvenir qu’on ne peut pas effacer. Il faut se reconstruire psychologiquement. C’est une pratique qui se transmet de mère à fille depuis des siècles, quelque chose très ancré. C’est très important que nous, les femmes excisées, puissent témoigner de l’impact que l’excision a eu sur nous. »

Quels étaient les réactions des personnes à Djibouti ?
« Lorsque je devais retourner à Djibouti pour la première fois dans le cadre de mon travail de terrain, je craignais un peu la réaction des personnes. Mais j’ai été agréablement surprise. En tant que femme mutilée venant du Djibouti j’étais vue comme ayant une légitimité à parler de ce sujet, que je connais très bien. Les personnes n’étaient pas hostiles mais elles débattaient.
Les personnes me disaient ‘mais pourquoi tu nous dis de ne rien couper ? Ca risque de pousser comme des cheveux… Ca va gratter, ca va ceci, ça va cela’. Alors j’ai dit ‘non, vous avez peur de ce que vous ne connaissez pas, le clitoris est un organe essentiel pour l’épanouissement des femmes, il faut le laisser vivre’.
Finalement, on a été bien accueilli, on ne nous a pas fermé la porte, au contraire on a été aidée dans notre travail.»

As-tu aussi mené des actions de sensibilisation dans d’autres pays d’Afrique de l’est ?
Oui, dans le cadre de mon travail pour Respect for Change je suis aussi allée en mission à Addis Abbeba, en Ethiopie, à Hergeissa, en Somaliland.

IMG_0110Quelles sont selon toi les différences entre sensibiliser à l’excision en Belgique et sensibiliser dans les pays où l’excision est pratiquée ?
« Au pays [à Djibouti] on va dans le cœur de la tradition. Il faut vraiment beaucoup d’arguments pour pouvoir empêcher l’excision.
Alors qu’en Belgique c’est différent parce qu’il y a des lois qui peuvent être appliquées. En Afrique, même s’il y a des lois elles ne sont pas appliquées, il n’y a pas de condamnations. A Djibouti par exemple, l’excision est illégale mais il n’y a pas de condamnations. On est encore au niveau de la sensibilisation. Quand il y a plus de 90% de femmes excisées dans un pays, comme à Djibouti, il est difficile de faire appliquer la loi. Aussi, ici les personnes ont moins de pression familiale, car la famille est souvent à des milliers de kilomètres. Alors qu’à Djibouti les grands-mères veillent à ce que la tradition se fasse, elles disent ‘c’est à nous de décider, ce n’est pas aux parents de décider’. La pression est beaucoup plus importante à Djibouti qu’ici. »

Quels sont les arguments que tu utilises dans tes actions de sensibilisation, en Belgique et à Djibouti ?
« L’argument religieux est important. Les personnes disent qu’elles font l’excision au nom de l’Islam. C’est important de dire que la religion musulmane n’a jamais dit qu’il fallait exciser. En réalité tu n’as pas un plus parce que tu es excisée, ce n’est pas demandé par la religion. J’explique aussi qu’on n’a pas le droit de contrôler la sexualité des femmes, les femmes ont le droit d’être épanouies. Il faut expliquer qu’une fille excisée n’aura pas le même épanouissement qu’une fille pas excisée, que ça a des conséquences sur sa santé et sa sexualité. Il faut contrer l’argument religieux, comme quoi une femme musulmane doit être excisée, c’est pas vrai, il y a de nombreux pays musulmans qui ne pratiquent pas l’excision ! Il faut faire changer les mentalités. »

Tu utilises les mêmes arguments ici et à Djibouti ?
« Oui, toujours, le discours et le même, les arguments sont les mêmes. »

Certaines personnes critiquent le fait que des ONG internationales, donc des personnes qui ne sont pas concernées par les MGF, viennent en Afrique pour dire que l’excision c’est mal, as-tu déjà rencontré ce genre d’arguments ?
« En effet, je pense que c’est très positif qu’une femme qui l’a vécu, comme moi, vienne en Afrique pour sensibiliser. C’est la raison pour laquelle Respect for Change m’a choisie. C’est vrai que ce n’est pas la même chose quand un étranger, une étrangère, pointe son doigt en disant ‘c’est la torture, il faut arrêter’.

Ceci est valable pour mon travail en Belgique également. Une femme concernée est bien placée pour raconter son vécu, pour expliquer les conséquences de l’excision sur sa santé, au moment de l’accouchement, au moment des rapports sexuels. Et de dire ‘au nom de quoi nous on doit être différentes des autres femmes ?’. Pour moi la force du travail du Gams Belgique c’est justement d’avoir des animatrices communautaires, originaires de différents pays où l’excision se pratique. »

Tu penses qu’il y a un changement en cours à Djibouti ?
« Je dirais qu’il y a 10 ans je n’aurais pas pu débattre aussi ouvertement, parler de ça à la radio… Les choses ont évolué. Aujourd’hui il y a moins de tabou, les gens parlent plus facilement de l’excision à Djibouti. J’ai l’impression qu’il y a de gros efforts qui ont été réalisés, l’Etat djiboutien a condamné la pratique. Mais il faut continuer à sensibiliser. La prévalence reste haute. Il faut que les personnes changent leur comportement.
J’espère qu’il y aura une diminution à Djibouti. C’est le cas dans d’autres pays, au Sénégal par exemple le taux d’excision était très élevé il y a quelques années, aujourd’hui la prévalence est autour de 25%. C’est une victoire. J’espère que d’autres pays vont suivre.»

Et en Belgique, comment se passent les actions de sensibilisation ?
« Quand je fais des sensibilisations pour des groupes, les personnes sont préparées à notre venue et je suis généralement bien accueille. Des fois on rencontre des personnes qui n’ont jamais entendu parler de l’excision
Je suis aussi sollicitée par des services dans le cadre de familles qui partent en vacances dans leur pays d’origine. Les parents ne nous disent jamais ouvertement ‘je vais exciser ma fille’, ils savent que les services sont contre l’excision et que l’Etat belge condamne. On discute avec les parents, on leur explique que même s’ils envoient la fille pour être excisée dans le pays d’origine ils peuvent être condamnés. Pour ma part je n’ai jamais entendu parler d’une famille qui a excisée leur fille ici. »

Peux-tu partager avec nous un souvenir positif de tes années de combat ?
« Ma victoire personnelle, c’est ma fille, elle est intacte. Dans ma famille, restée à Djibouti, l’excision recule. Ma maman n’a pas fait exciser sa dernière petite fille. C’est une victoire. J’ai sensibilisé ma famille, j’en parle à ma mère, à mes sœurs, à mon frère… C’est une chose très positive. Ma fille est intacte, j’ai su la protéger.

De la même manière, quand je vois que les petites filles restent intactes, ça c’est mon bonheur. Que je vois des filles venues tout bébé avec leurs mères et que ces mères se sont battues pour qu’elles ne soient pas excisées…


Et les femmes qui me disent ‘on aime bien venir dans vos ateliers, on rencontre des amies, c’est notre bouffée d’oxygène’. On voit qu’on leur fait du bien. Je suis très heureuse quand je vois les personnes recevoir leur asile. Elles nous appellent quand elles ont eu leurs papiers, pour nous remercier. Ca fait du bien de voir qu’on aide vraiment des personnes. »

Des mots pour clôturer ?
« J’espère qu’il y aura une abolition de l’excision… au moins une baisse. Il faut continuer à sensibiliser, il ne faut pas baisser les bras. Si on continue à en parler les personnes vont finir par entendre. »

Un commentaire à propos de “Mon combat, de Djibouti en Belgique – entretien avec Samia Youssouf

  1. Dr kadeer

    félicitation madame Samia
    personnellement je serai disponible en autant que médecin de mener des sensibilisations et faire même de conférence en détaillant les inconvénients inadmissible de la mutilations.
    Sans effort et ce travail du terrain rien pourrai changer la mentalité »des nos compatriotes.
    merci

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *